“Moi seul, je peux!- Quelques réflexions sur la folie Trump” Manya Steinkoler

Moi seul, je peux ! Quelques réflexions sur la folie Trump

 

Patricia et moi-même sommes très heureuses de partager la réflexion lacanienne actuelle avec un public francophone. Comme nombre d’entre vous le savent, le contexte culturel, clinique et théorique américain est très différent du contexte français et c’est avec beaucoup de plaisir que nous avons réalisé un recueil d’articles qui continuent de lancer des ponts et d’apporter des thèmes de conversation. Cela étant dit, il nous a semblé que, ce soir, nous pourrions élargir la discussion de la folie à l’éléphant qui de toute évidence s’impose dans la pièce. De par sa force et sa noblesse, l’éléphant est le symbole du parti républicain américain , sorti d’une bande dessinée populaire du Harper’s de 1874. Étant donné ces qualités, c’est plutôt contre mon gré que je me réfère au noble mammifère de l’idiome populaire. D’une part parce que le président en question n’est pas républicain, bien qu’il ait présenté sa candidature sous le ticket de ce parti. Et d’autre part, parce que les éléphants sont une espèce en danger, tandis que ce sont précisément le président et ses chasseurs de gros gibier de fils qui menacent cette espèce, en dépit de l’emploi orwellien qu’ils font du terme « conversationniste ». Alors comment l’appellerons-nous ? Quelque chose de très gros, comme le tremblement géopolitique incessant qui se répand rapidement à la surface du globe. On a même dit que l’Empire State avait plus de chance avec King Kong. Dans l’article d’Andrew Sullivan du New York Magazine souvent cité : « The Madness of King Donald, » (La folie du roi Donald) on peut lire : « Désormais il n’y a plus d’ancrage. La folie règne au cœur de l’administration du pays le plus puissant du monde. »

 

Plus d’ancrage, la folie règne.

Comme Patricia l’a expliqué, notre titre est en partie inspiré par le slogan d’Obama « Yes we can » (Oui nous pouvons), présent à l’esprit de nombreux Américains au moment où nous préparions notre recueil. Le fait que « Yes we can » ait besoin d’être énoncé suggère en fait que quelque part, non loin derrière, est tapi un : « Non on ne peut pas ! ». Quelque chose que notre M. Poe a élégamment montré bien longtemps avant Freud et Lacan, dans « Le Démon de la perversité », sa nouvelle de 1845. Dans cette œuvre désormais prémonitoire, il appelait ce démon caché : « ce que l’arrogance de la raison néglige ». étant donné l’immense popularité du slogan d’Obama, sorte de retour des Lumières à la foi commune en la raison, le fait que ses tentatives de changer la politique aient été pilonnées à chaque étape exige sans doute qu’on s’y arrête. Il semble bien que le mot surestimé par Obama, comme l’histoire l’a démontré, ce soit le « nous ». Même si dans l’intervalle, quelque chose semblait s’être épanoui, ne serait-ce que l’espace d’un instant : Oui nous pouvons élire un Noir à la présidence des États-Unis, oui nous pouvons établir une couverture universelle de soins de santé dans tous les États-Unis, oui nous pouvons nous sortir de la pire des récessions depuis la Grande dépression, oui nous pouvons prendre des mesures pour lutter contre le changement du climat.

Au cours des deux derniers mois, durant un unheimlich tour de montagnes russes à la Disneyland, sur une bande de Moebius, toutes les politiques d’Obama ont été ou sont en train d’être abolies. La prise en charge universelle de la santé, l’éducation publique, la prescription de médicaments abordables, le souci pour la santé des femmes, les droits à se reproduire et à un emploi, le refuge sûr pour les réfugiés fuyant les persécutions. Les droits fonciers des Autochtones américains sont tous en sérieux danger. Le Congrès a relâché les vérifications personnelles sur les armes et les limites imposées aux achats d’armes par les malades mentaux ont été supprimées. Les toilettes réservées aux transgenres, rendues obligatoires dans les écoles au niveau fédéral durant l’administration Obama, ont été subitement supprimées elles aussi, la marijuana a été rendue illégale dans les états où elle avait été légalisée. Il a été proposé de privatiser les prisons fédérales et de les confier à des sociétés privées. Les Autochtones américains qui protestaient le long du pipeline du Dakota ont été arrêtés, Trump a appelé à la suppression des restrictions sur les traités commerciaux, dix mille nouveaux agents de frontières ont été recrutés et Trump a appelé à « la suprématie nucléaire ».

Le retour du racisme, de la xénophobie, de la paranoïa généralisée, les agressions flagrantes et les menaces haineuses ne sont pas ce dont le président ou l’idée de gouvernement nous protège. En fait c’est ce à quoi le président et ses affidés nous assujettissent. Les libertés élémentaires garanties par la constitution sont en péril. La flamme de la Liberté a été mise en veilleuse quand s’est abattu sur nos têtes le nuage de Trump, tweeter frénétique de bombardements racistes, à l’autoritarisme atavique, aux postures belliqueuses et au nationalisme xénophobe. Telle est la folie au cœur qui nous est réservée.

 

Non seulement incertains et anxieux pour l’avenir, nous le sommes également d’être piégés dans un éternel présent tandis que nous assistons – tout en protestant, téléphonant et rédigeant des lettres – à des désastres continuels politiques et diplomatiques, dans un flux ininterrompu de catastrophes, inquiets pour notre sureté quotidienne et pour nos libertés. Les Américains « ne dorment plus », sont maladivement préoccupés par la « mer écarlate (de Macbeth) », résultat des mains de Trump qui y sont plongées et qui la rendent plus rouge encore qu’on aurait pu l’imaginer. Nous vivons dans un nœud d’impotence, d’anxiété et de fatigue, dans ce qu’un journaliste intelligent a appelé « la nouvelle culture criminogène ». Zizek a qualifié la victoire de Trump « preuve du triomphe de la dégénérescence morale. » Le déclin marqué de la civilité, le développement d’actes d’agressions publiques et la disparition de la métaphore ont bien, en effet, migré directement du corps du président au corps social et politique du peuple. Vous vous souvenez peut-être que Trump, sans fard, avait fait état de son pénis. Il n’avait aucun problème « de ce côté-là, » a-t-il même sans cesse prétendu. Contrairement aux femmes qui ont « du sang qui sort de là! » Blessée, “moins que,” la femme a clairement « un problème ». Mais même si cela relève de l’ordre psychanalytique, c’est aussi le moins qu’on puisse en dire. Le mur, l’interdiction des immigrants, et presque tous les excès d’« ordres exécutifs » frénétiques portent sur un échec de la métaphore. À défaut de mots, un mur s’impose.

 

Le principe de Twitter dicte qu’il n’y a pas de oui car il n’y a pas de non-non. Le seul « non » rencontré – et cela doit en effet l’être constamment – c’est le non de l’autre que l’on affronte, à chaque fois, par un assaut en bonne et due forme. L’assaut contre la réalité est incessant dans la mesure où celle-ci est limitée. Admettons-le : la réalité n’est pas « géniale » et elle ne peut être « de nouveau géniale » étant donné qu’elle n’a jamais été si géniale que cela en premier lieu. Ceci nous aide à concevoir quelque chose de la fonction des vérités trompétées connues également comme faits alternatifs ou encore plus simplement « mensonges » mais dans un style qui est particulier à Trump : certitude impétueuse; récits en bandes dessinées, calomnies éhontées et impudence agressive : Obama n’est pas né aux Etats-Unis. Les foules de son inauguration étaient « les plus vastes de l’histoire présidentielle. Son discours était le plus grand de l’histoire, aussi grand que celui d’Abe Lincoln! ». Les protestataires qui s’opposent à sa politique sont des « criminels payés par les démocrates ». Il a remporté le vote populaire avec deux millions de bulletins de plus. Et seule une conspiration contre lui explique pourquoi il semble qu’Hilary Clinton ait obtenu davantage de voix. Le réchauffement climatique est un canular chinois. Le général Flynn n’a jamais été en contact avec les Russes. Le niveau des assassinats dans ce pays est le plus élevé depuis 47 ans. Il a vu des musulmans applaudir la démolition du World Trade Center. Le taux de chômage est de 42%. Il n’y a pas de système pour vérifier les réfugiés. La torture fonctionne. Le Mexique envoie ses mauvais ressortissants, ses violeurs. L’autisme est causé par les vaccins. Le Mexique paiera pour le mur. Le système juridique est une menace pour notre sécurité nationale.

 

Avec une ironie qui aurait coupé la chique à Orwell, l’interdiction des musulmans a été publiée le Jour du souvenir de l’holocauste dans une proclamation qui rappelle le jour en question mais sans mentionner les juifs! En ce qui concerne le célèbre « Bowling Green Massacre » qui n’a jamais eu lieu, nous devons le rendre à qui de droit : son directeur de campagne. Une attaque des rebelles Houthi contre un navire saoudien devient une attaque iranienne contre un navire des États-Unis. Et ce n’est qu’un petit exemple, c’est-à-dire « pas un grand. »

 

Evidemment vous pourriez très justement soutenir qu’il existe « une éthique du mensonge ». Le mensonge a une noble histoire : « Nescit vivere qui nescit dissimulare, perire melius » énonce la vieille maxime latine. Machiavel reconnaît que c’est dans l’intérêt exprès de celui qui gouverne de mentir. Mark Twain se lamente de la disparition de l’art de mentir et de « la prévalence grandissante de la vérité brute.» Alfred Hitchcock nous a enseignés que l’amour romantique dépend de la tromperie. Le mensonge de Trump, cependant, n’est pas du même ordre. Et c’est précisément là où les discussions sur la « folie » de Trump se heurtent à un mur – sans jeu de mot volontaire.

 

Richard Nixon et Bill Clinton savaient qu’ils mentaient et avaient du respect pour la vérité. « Cela dépend ce que vous entendez par sexe, » a été la fameuse réponse de Clinton que citera une génération d’hommes après lui. Les mensonges de Trump sont différents, ce sont des réfutations directes de la réalité. Il répond avec rage et de manière vengeresse aux corrections ou aux défis et les mensonges sont contrés par des doubles mensonges et de vicieuses attaques. La réalité elle-même semble être ce qui doit être nié. Sans cesse, férocement et follement. C’est parce qu’elle porte le « non » en elle que Trump lutte contre la réalité. Cette « bataille » lui permet de continuer à se battre sans fin. Le combat lui-même, à la manière du Satan de Milton ou du Richard ou du Iago de Shakespeare, bien que de manière infiniment moins intelligente que celui de ses précurseurs potentiels, est la somme totale de la « prétention au pouvoir » de Trump. La différence par rapport à eux en termes de langage, cependant, ne doit pas être ignorée. Trump « passe des accords » par la force, en harcelant et en intimidant. Lors de ses premiers jours en fonction, il a viré l’échelon supérieur du département d’état et décrété que « tous les employés fédéraux pouvaient être renvoyés par le président ». Par ailleurs, la notion freudienne de psychologie de groupe nous enseigne que la base de ses « supporters », les ouvriers de la « ceinture de rouille » s’identifient narcissiquement au milliardaire sans frein. Il n’aime ni Milton ni Shakespeare, ni avoir Cicéron sur le dos et, plutôt plus proche d’un Néron ou d’un Caligula, il correspond mieux à ses surnoms d’Agent Orange et d’Hair Hitler. Il a renvoyé plusieurs employés gouvernementaux pour avoir publié des articles le critiquant. Sa promesse de lever l’interdiction de la torture est seulement l’un des nombreux « attributs de mauvais garçon » de l’apparente sauvagerie de son action. Sa meute de militaristes, d’idéologues d’entreprises et autres qui nient la science est prête à détruire les vestiges du contrat social et de la confiance de base. Il a le soutien des dictateurs des Philippines, de Turquie, d’Egypte et de Russie. La peur du « populisme réactionnaire » qui rend les gens comme Oprah Winfrey « optimistes » est puérile et dangereuse, supprimant tous ceux qui s’étaient momentanément allés à de tels faux espoirs.

 

L’un des nombreux commentaires que nous pourrions faire à propos de cette phrase « Make America Great Again » (Rendre sa grandeur à l’Amérique) est qu’elle claque d’une ironie monstrueuse. « Notre plus grande heure » a été avec nos alliés dans la lutte contre le fascisme et la menace nazie. Le héraut de ce slogan ne pourrait être plus proche de ceux au renversement desquels la grande Amérique a contribué.

 

« Les ennemis de l’Amérique », selon Trump, sont les journalistes. La NPR (Radio publique nationale des États-Unis) et le Wall Street Journal ont déclaré qu’ils n’emploieraient plus le terme de « mensonge » au risque d’être soupçonnés d’alimenter une bataille déjà féroce. Est-ce cependant la réponse d’une presse socialement responsable ?

 

Les professionnels de la santé mentale ne sont pas restés silencieux. Ils ont rédigé des lettres collectives aux sénateurs et aux juges. Ils ont invoqué l’usage de la presse, ils ont lancé des pétitions, et régulièrement diagnostiqué et débattu publiquement. Vanity Fair a publié un article à ce sujet. The Atlantic a publié un dossier complet durant la campagne. Et un psychiatre de l’Université Johns Hopkins est resté dans les annales avec un diagnostic très apprécié. La pétition de John Gartner a reçu 29 000 signatures de professionnels certifiés de la santé mentale.Citizen Therapists Against Trump (citoyens thérapeutes contre Trump) a publié un manifeste « mettant en garde contre la psychose de Trump ». Un officiel de la haute administration du département d’état sous Bush a été cité comme déclarant : « je ne crois pas que nous ayons un président capable mentalement.»

 

Tout ceci en dépit de la célèbre « règle d’or Goldwater » adoptée par le code d’éthique de l’Association psychiatrique américaine à la suite de la course présidentielle de 1964, après qu’un groupe de psychiatres se furent élevés publiquement contre l’aptitude mentale de Barry Goldwater candidat à la présidence. La Guerre froide avait amplifié les préoccupations des psychiatres : le président a le doigt sur le bouton nucléaire. Ils ont pris conscience de leurs responsabilités. Goldwater a perdu et les psychiatres ont été sous le feu des critiques pour avoir indiqué publiquement leur intention de vote, ce qui a influencé le scrutin. La « règle Goldwater » interdit désormais aux psychiatres de diagnostiquer une personne qu’ils n’ont pas traitée. Le paradoxe naturellement est que les psychiatres sont encore plus strictement empêchés de discuter les cas traités, pour les raisons de confidentialité. Quand le Dr Gartner de Johns Hopkins a présenté publiquement sa pétition, les psychiatres ont annoncé qu’ils transgressaient la règle Goldwater car leur responsabilité de mise en garde du public au sujet de Trump représentait une urgence éthique plus grande encore.

 

Les diagnostiqués, et le débat à leur sujet, et même la question de savoir si ce débat a une quelconque pertinence, fait partie des conversations courantes.

 

D’autres ont soutenu que l’accent sur la folie aide Trump à faire avancer son programme et que de manière rusée il « paraît fou », bien que cet argument semble moins en vogue au terme de son premier mois en fonction. Mon diagnostic préféré n’est pas du tout un diagnostic. Mark Singer a fait remarquer en 1977 dans son article du New Yorker, « Trump Solo, » que le talent exceptionnel de Trump à être Trump, cette ubiquité immanente qui se réduit à une persona, exempte [Donald] d’introspection. » Trump mène « une existence intouchée par le grondement d’une âme. »

 

Il y a ceux qui soutiennent que d’être malade mental ne signifie en aucune façon qu’il ne puisse pas être président, qu’au contraire cela le qualifie pour la fonction.

 

En même temps, la « folie de la profession de la santé mentale » fait le lit du véritable amour de soi qu’incarne le président, elle lui permet de se faire entendre. On lit en ce qui concerne les allégations de la supposée maladie mentale de M. Trump : « ce n’est pas un trouble à moins que cela soit sans bénéfice aucun, » et plus loin, le fait que ça lui « fasse plaisir plutôt que cela l’afflige et le pousse à se venger et à tweeter [signifie que cela] ne peut être considéré comme une trouble mental ».

 

En outre, de nombreux sites Web psychanalytiques américains s’interdisent d’être « politiques », prétendant rester neutres et non-politique c’est-à-dire analystes. Seulement les « non-analystes », semblent-t-il, eux peuvent être non-neutres. »

 

L’une des grandes prouesses de notre société démocratique, c’est qu’elle garantit aux citoyens la possibilité de ne pas penser à la politique. La démocratie accorde aux citoyens certains loisirs, un inconscient, un symptôme et même un psychanalyste, sans mentionner le temps que tout cela prend. En d’autres termes, la démocratie permet aux citoyens d’être fous, d’être « fous » avec et dans la civilisation. Et la psychanalyse permet à ses citoyens toute l’intégrité et la dignité de cette folie à un âge où la réalité et la matérialité du marché sont censées être ce qui seul compte.

 

Le tyran est quelque chose d’assez différent. Il y a longtemps que les historiens ont noté le déclin marqué des maladies mentales sous les gouvernements fascistes et autoritaires. Il n’y a pas lieu d’être étonné. Le tyran s’arroge notre temps, notre argent et nous prive même de notre propre folie particulière puisque nous ne devons plus nous préoccuper que de la sienne. L’argument n’est pas que le tyran soit fou, mais plutôt qu’en dénonçant le tyran nous protégeons notre propre droit à la folie.

 

La relation entre folie et démocratie n’est pas nouvelle. Dans la bible hébraïque, le terme de folie vient de la racine qui signifie « s’égarer ». Dans le contexte religieux, être fou c’est s’égarer de la voie de Dieu. On se rappellera peut-être que la folie de Saul était le résultat de gouverner plutôt que d’être gouverné, et la folie dans la bible est relativement rare. Dans l’épique grec, la folie n’apparaît pas souvent non plus. Homère est plus préoccupé par le savoir-faire du héros, la colère, les sorts et la malédiction. Même les sorcières transformant les hommes en porcs peuvent être contrôlées par des serments irrévocables. C’est avec la naissance de la tragédie que la folie s’empare de la scène. La démocratie se préoccupe de l’indépendance civique. Dans son étude classique, Edith Hamilton nous rappelle que le héros tragique, (comme l’analysant), doit trouver sa voie propre « sans bonne réponse ». La tragédie émerge au moment où change le discours du maître et c’est l’absence de l’Autre pour garantir tout choix qui devient le vrai sujet du drame. Le pouvoir atténué des dieux, la nécessité de porter un jugement ici et maintenant, l’absence de « gouvernant unique » ou de politique « unique » et la nécessité du discours pour convaincre et disposer de l’homme, le rend plus vulnérable à l’Autre : Oreste, Electre, Phèdre, Héraclès, Hippolyte, Médée, les Bacchantes…

 

Le post-moderne, le « nouveau » post-moderne et même l’ère après Auschwitz et la bombe atomique ont été caractérisés comme annonçant « la fin de la tragédie ». La réalité de Trump glisse le long des trainées d’huile de cette trajectoire, conséquence logique du fait que la tragédie s’est achevée en même temps que la démocratie telle que nous la connaissions et qui la soutenait. La tragédie exige des sujets. Donald Trump n’est pas tragique il est catastrophique.

 

Michael Moore est l’une des seules personnalités publiques à avoir prédit correctement les résultats de l’élection. Il avait correctement diagnostiqué la souffrance sociale et économique de la ceinture de rouille négligée et des sans-droits de la classe ouvrière, qualifiant la victoire de Trump, de « triomphe du néofascisme ». Cornell West, Carl Bernstein, Henry Giroux, pour ne nommer qu’eux ont largement utilisé l’expression. West voit Trump comme l’excroissance de la gouvernance néolibérale versée dans les privatisations et la militarisation. Dans son tout récent ouvrage, Thank You For Being Late, (Merci d’être en retard) Thomas Friedman soutient que la croissance exponentielle du changement climatique, la globalisation et, plus important encore, la technologie sont responsables de notre situation politique actuelle, pour avoir fait du monde un inconnu de nous. En 2007, l’iPhone, le Kindle et l’Android sont apparus et ainsi tout aussi instantanément notre sens du temps a été radicalement altéré et nous sommes entrés dans ce que Jonathan Carey appelle « Late Capitalism and the end of sleep. » (Capitalisme tardif et fin du sommeil) l’électorat de Trump rêve d’un homme fort pour accorder un surcroît de sens, vœu imaginaire de « gagner », au moment même où le fait de gagner a perdu. Ils ont voté pour un moi en forme de champignon atomique, dans l’ère qui décidément exige une tolérance accrue et une complexité subjective. Trump est le président pour une ère ou le temps n’existe pas, l’ère infantile qui précède l’existence du temps et de la mort.

 

À la différence du chef fasciste, et en dépit de myriades de similitudes dépeintes dans cet exposé (que ce soit l’exigence de Trump que ses supporters prêtent serment de le soutenir, ou sa persistance à tenir des « meetings de campagne » bien qu’il ait déjà remporté la présidence), Trump n’est pas une image de père. Loué par les néonazis, les antisémites, le lobby des armes, les grands pétroliers et ceux qui n’ont pas été au-delà du BEPC, il vogue sur la marée montante d’un besoin de sensation immédiate et d’analphabétisme civique, conséquences du nouvel âge technologique. C’est pourquoi, en dépit du manque flagrant de castration de Trump, il est probablement incorrect de l’appeler le « père de la horde ». Même s’il est l’image d’une jouissance « énorme » sans équivalent, c’est une jouissance remarquablement non sexuelle. « Saisisseur de chatte », est indéniablement agressif. Il est encore moins séduisant. Pour être séduisant, il faut qu’il y ait un autre. Trump est agressif simplement et sans excuse, monstrueuse célébration prémâchée de ce que la civilisation est censée réprimer. C’est de cette façon et seulement de cette façon que Trump « dit la vérité » non pas dans ce qu’il dit, mais dans la cruauté vicieuse, sans complexe, vantarde de la façon dont il le dit.

 

L’une de mes patientes a fait ce lapsus freudien de manière répétée : elle voulait dire « quand Trump est devenu président » et au lieu de quoi a dit : « Quand Trump est devenu pregnant (tomber enceinte). » Elle a associé cela de la manière suivante : « ce n’est pas le père, c’est le représentant de l’Autre tout puissant. Plus qu’un père, c’est une mère primitive, » a-t-elle conclu « où le faux et le vrai ne sont pas opposés ».

 

On a dit du Discours du capitaliste de Lacan qu’il ne s’agit pas vraiment d’un discours, étant donné qu’il décrit un état de jouissance où l’objet ordonne. Plutôt que le sujet, c’est l’objet libidinal, qui n’est plus désormais un agent, qui a pris le pouvoir. Le Discours du capitaliste connecte les sujets avec les objets plutôt qu’avec d’autres sujets. Trump est le président pour des individus munis de jouets et de gadgets, pour des gens totalement dépendants du porno Internet sans relation avec des autres gens. C’est « l’effort de plus à l’objet », le pervers ordonne de jouir quand les objets faillissent. En ce sens, Trump est le président de l’âge de l’ennui à marche forcée, sauvagement sensationnel, 24h sur 24, 7 jours sur 7.

 

Les historiens aiment nous rappeler qu’on peut trouver des précédents pour les supposés « non-présidentiables ». Ils ont ramené les origines de la xénophobie de Trump à la loi sur l’immigration de 1924 de Coolidge, explicitement élu président pour ses restrictions raciales : moins de juifs, d’Asiatiques, de Slaves, d’Africains. Le but de la loi de Coolidge était la « préservation du stock américain » c’est-à-dire la maintenir protestante, ou « grande ». La plupart des gens ignorent que ces quotas sont demeurés inchangés jusqu’en 1965. Steve Bannon s’apprête à remettre cette loi en vigueur.

 

Hannah Arendt nous dit que les « origines protéennes du fascisme » demeurent très vivantes dans la culture américaine. De même la plupart des gens ignorent-ils le courant du fascisme qui bourdonne en souterrain dans l’histoire américaine. Les dominionistes chrétiens, fondamentalistes sexuels et autres nationalistes blancs d’aujourd’hui sont souvent les descendants – parfois littéralement descendants par le sang – de ceux qui ont rejoint le KKK dans les années 20, suivi le père Coughlin dans les années 30, soutenu Joe McCarthy au début des années 50, adhéré à la société John Birch dans les années 60. De ceux qui se sont inscrits pour la Majorité morale dans les années 70 et la coalition chrétienne dans les années 90. Les Américains considèrent ces gens comme des « fous », non pas comme des « Américains ». Les historiens nous rappellent leur souvenir à présent.

 

Les historiens ont ensuite considéré l’exceptionnalisme de Trump comme venant du culte de la masculinité revigorée, que l’on trouve déjà dans une idéologie américaine plus impérialiste. De la Vie à la dure de Theodore Roosevelt à la Nouvelle frontière de John Kennedy, en passant par la Mission accomplie de George W. Bush, les présidents se sont fièrement dressés et ont appelé la nation à en faire autant.

 

Je maintiens que Trump est différent. Il n’est pas masculin, il est seulement phallique de la manière la plus infantile qui soit, comme on le voit dans sa constante préoccupation de la taille. Et s’il est très touché par les histoires dont les historiens nous alertent, il ne les ignore pas moins. En termes de mots, Il n’en a pas beaucoup, exception faite de son nom bien entendu. C’est à vrai dire le seul mot qu’il possède et, par ces lettres d’or, atout maître toutes couleurs, il l’a mis à l’œuvre dans le monde entier, dans un exceptionnalisme magique digne des titans.

 

 

 

 

 

 

 

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